Un monde en perdiction [Ywëna - GOB]

Dans la ville basse, les habitants rentrent chez eux et ferment leurs portes. C'est bientôt le couvre-feu, mais surtout on entends déjà les claquements de bottes de la Milice Civile. Ces soldats chargés de faire respecter l'ordre, ou plutôt d'opprier les plus faibles, poursuivent quelqu'un. Et comme toujours, personne ne veux croiser leur route...
Ca y est, les rues sont complètement désertes. Le groupe de Miliciens passe en courant sans voir la frêle silhouette chargée d'un sac qui s'est glissée par un soupirail. Le silence revient et la fugitive, une adolescente vêtue d'un jeans tâché et d'un pull noir, quitte sa cachette avec un sourire, serrant contre elle son fardeau. Elle quitte la ruelle, et descends ves les les quartiers abandonnés. C'est là que les clandestins s'organisent, dans ces dédales de maisons en piteux état.
La fugitive a seize ans. Peut-être dix-sept. Elle se fait apeller Kate Ydriss, mais son véritable nom est Kira. Kira Ying. Malgré son nom asiatique, elle ressemble à n'importe quel occidentale. De ses origines chinoises, elle n'a conservé que sa longue chevelure noire et soyeuse. Elle a les yeux bleu sombre et la peau pâle, une silhouette fine à la musculature déliée. Tout d'abord, on ne remarque que sa beauté. Puis on découvre son aura de souplesse, d'agilité, de force.
Le père de Kira était expert en arts martiaux. Il a transmi à sa fille tout son savoir. Tout comme la mère de Kira lui a appris à se servir de toutes les armes, de la dague à la kalachnikov en passant par le sabre, le bâton et le revolver.
Si les parents de Kira ont transformés leur fille en combattante, ce n'est pas par plaisir. C'est pour qu'elle puisse conquérir le droit de vivre. Parce que les gens comme eux, les clandestins, les sans-papiers, n'ont pas le droit de vivre. Seuls les meilleurs gagnent, non pas ce droit de vie, mais un sursis. Un sursis qu'on doit conserver chaque jour.
Kira a gagné ce sursis aujourd'hui encore. Elle escalde un mur, saute dans une maison abandonné qui n'a plus de toit, suit une ruelle puis entre dans un vieil hôpital désafecté. A l'intérieur, aucune lumière, mais une foule de gens. Des clandestins. Certains sourient en voyant arriver la jeune fille, d'autres vont lui parler. Mais Kira, malgré son sourire et les mots amicaux, ne lâche pas son sac au grand dépit de ceux qui l'abordent. Elle avance dans les couloirs jusqu'à une chambre qui portent le numéro presque effacé de 356, pousse la porte et pose son sac sur une table, au centre de la pièce.
Cette pièce, c'est l'unique maison de Kira et de sa famille. Son père, sa mère, son petit frère et sa grande soeur. Aucun d'entre eux n'est rentré encore. Kira range le contenu de son sac dans un placard, s'allonge sur une des couchette au fond de la pièce, et attends.
Comme chaque soir.

Encore une journée ordinaire pour Lester Moore, voilà bien longtemps que ce quadragénaire sans histoire avait perdu tout espoir de s'élever dans sa hiérarchie. On n'avait plus besoin de cadre, et ce n'était pas quinze ans de maison qui allait les faire changer d'avis. Lester est un employé de la fonction publique, affilié au classage et au tri des dossiers d'arrestation, souvent certains de ces dossiers disparaissaient, ça l'avait un peu perturbé au début mais on lui avait appris à ne pas se poser de questions. Son métier lui permettent, à lui et sa famille, de vivre dans une paix relative, et leur seule peur sont non pas les policiers qui les protègent mais bien ces clandestins révolutionnaires (et vraisemblablement communistes, pensait-il en son fort intérieur) qui cherchent à compromettre leur sécurité.
Ce soir là Lester était d'ailleurs particulièrement stressé, alors qu'il rejoignait son véhicule, il croqua nerveusement une pastille bleue que le médecin lui avait prescrit pour sa tension. La semaine dernière, un commissariat avait sauté, et les terroristes courent toujours, l'idée qu'il pouvait être victime d'un attentat le perturbait au plus haut point, si bien que, perdu dans ses pensées, il faillit rentrer dans le véhicule devant lui.
Sa tension montait à la suite de cet accident évité de justesse, il aurait pu mourir. MOURIR, il s'empressa d'attrapper son tube de pastille, ce dernier était vide. Lester respira un grand coup et alluma son poste radiophonique sur une fréquence musicale en espérant pouvoir se changer les idées jusqu'à la tour où il vivait.
Lester gravit les escaliers quatre à quatre, il prit à peine le temps de saluer sa femme et son fils et se dirigea d'un pas empressé vers la salle de bain. Il fouilla frénétiquement les placards. Rien. Il regarda autour de lui, s'affolant d'avantage puis il avisa le tube, il l'avait laissé sur le bord du lavabo, sans même se permettre un soupir de soulagement, Lester avala la fameuse pastille. Appuyé sur le lavabo, son regard rencontra celui de son reflet, il y vit un homme défait, fatigué, au front large et à la calvitie prononcée, au nez droit, au menton volontaire... Il garda ses grands yeux marrons ainsi rivés sur lui même. Ils ne trahissaient pas l'intelligence ou la force de caractère mais bien la lassitude, Lester se redressa, renoua sa cravate et revint au salon, c'était bientôt l'heure du souper.

Un claquement de porte. Kira se redressa sur son matelas.
Son père, Kantaro Ying, vennait de rentrer. Il tenait un sac en papier dans ses bras, et parlait avec animation :
- ... Nous n'appartenons pas au même monde ! Rester avec eux équivaut à t'en aller, à te promener au milieu de la Place Centrale en jouant de la trompette ! Tu ne dois pas y retourner, c'est clair ?
Kantaro posa son sac sur la taBle sans remarquer Kira, et se retourna en martelant :
- Est-ce que c'est clair, Christa ?
La jeune fille qui le suivait hocha la tête sans dire un mot. Des larmes coulaient sans bruit sur son visage et ses lèvres tremblaient, mais elle ne baissait pas les yeux. Elle jetta à sa soeur les couvertures qu'elle tenait à la main, puis se détourna, sorti de la pièce et claqua la porte.
Christa était la soeur de Kira. Dix-huit ans, des cheveux noirs comme toute la famille, des yeux bridés, une peau blanche et une silhouette de manequin. Romantique mais surtout écervellée, Christa collectionnait les garçons. Sa dernière aventure, avec un garçon de citoyen, était revenue aux oreilles de son père. D'où le coup d'éclat de Kantaro...
Kantaro ne salua même pas Kira et retira un réchaud de son sac en papier. Il l'installa en jurant, ce qui contrastait avec son calme habituel. D'habitude, il était réfléchit et posé. Malgré son teint asiatique, ses yeux bridés, ses cheveux noirs lissés, et ses lunettes rondes au bout de son nez, on l'apellait "Monsieur Ying" avec respect.
Un autre claquement de porte.
C'était Esther, la mère de Kira. Elle revient les mains vide cette fois. Contrairement à la pluparts des clandestines, Esther refusait de vendre son corps et travaillait honnêtement comme comptable. Son salaire était très bas, parfois son patron oubliait de la payer. Mais c'était un homme honnête, qui réparait ses oublis avec une prime, et qui ne posait pas de questions.
Esther était une belle femme, avec ses yeux bleus, ses cheveux noirs bouclés et son teint de pêche. Elle semblait douce et innofensive, mais qui aurait pu se douter qu'elle avait jadis fait partie d'un réseau de traficants d'armes ? De ce fait, malgré sa fragilité apparente, elle maniait n'importe quelle arme avec dextérité. Elle avait apparis cela à ses enfants, maisseuls son fils Mathéo et sa fille Kira étaient doués. Christa, elle, s'interressait davantage à ses vêtements...
Esther commença à metre la table en silence, adressant un sourire à sa fille en voyant le bocal de pâté qu'elle avait ramené. Finalement, elle lança :
- Mathéo est rentré ? Et Christa ?
Kira secoua la tête :
- Christa vient de ressortir. Mais je n'ai pas vu Mathéo depuis ce matin.
Esther se tu, mais ses mains s'étaient crispées.
La mort faisait partie de la vie ici. Tout comme l'angoisse. L'incertitude. Savoir que son fils était en retard, c'était pour Esther une torture quas-quotidienne. Mais à chaque fois qu'elle rentrait sans que sa famille soit au complet, elle sentait malgré tout son ventre se nouer.

Lester s'assit sur le bord du lit et se massa le front, quelle idée de toquer chez les gens à 22 heures... Il se leva péniblement, enfila ses mules et alla ouvrir, un homme rabougri, emmitouflé dans un grand trench coat, au nez aquilin et à l'air chafouin, allant sur la trentaine et chaussant de petites lunettes rondes était sur le seuil de l'appartement.
"Bonjour monsieur Moore, je me nomme Eddy Prescott mais vous pouvez m'appeler Ed" dit l'homme, l'air jovial.
"Je suis là au sujet d'une affaire qui ne saurait attendre monsieur Moore... Lester c'est bien ça? Je peux vous appeler Lester?"
Malgré les nombreuses invitations de l'homme, il semblait prendre soin de ne jamais laisser Lester répondre quoi que ce soit.
"On m'a dit que vous étiez le responsable des dossiers d'arrestations, c'est vrai?"
L'étrange personnage entra et sans attendre de réponse continua son monologue.
"Un de vos collègues m'a dit que vous rameniez des dossiers chez vous de temps en temps, pour les finir, vous êtes un vrai bourreau de travail mon grand..." Disait-il en examinant nonchalamment le mobilier sommaire de la pièce à vivre.
"J'aurais besoin d'un dossier rédigé en fin d'après-midi, sans doute l'avez vous... Il concerne un jeune homme, Mathéo Ying, la milice l'a arrêté et j'aurais besoin de son dossier mais impossible de mettre la main dessus"
Le type rit, comme si ce n'était rien, et montra une carte le désignant comme un enquêteur, mais Lester n'avait pas besoin de cette carte pour reconnaître Eddy Prescott, c'était un agent de l'état, un "nez" comme on dit, son travail consiste à chasser les clandestins. Lester, pas très à l'aise pris le parti de ne rien dire et d'aller chercher le dossier en question qu'il remit entre les mains de l'enquêteur.
"Merci Lester vous m'ôtez une épine du pied! Vous savez comment c'est dans le métier! On chasse l'oisillon pour trouver le nid pas vrai?" Lester attrapa une pastille et la croqua mais avant qu'il ait pu finir, une grande tape de l'agent Prescott la lui fit recracher.
"Merci encore, à la prochaine!"
Et il sortit. Dans toute la pièce, la tension était palpable, cet homme avait une aura qui faisait froid dans le dos, Lester le connaissait à peine mais déjà, il avait peur, quelque chose de viscéral... Il croqua une pastille.

Kira se réveilla vers minuit. Esther la secouait doucement. La jeune fille se redressa en position assise sur son lit, et baîlla :
- Kwâââ ?
Sa mère chuchota :
- Mathéo n'est toujours pas rentré.
Une simple phrase, porteuse d'une peur et d'une angoisse sans limite. Kira sentit son ventre se nouer. Esther continua à voix basse :
- Tu connais ses amis, moi pas. Tu connais la partie de la ville où il travaille, moi pas. Je... Je voudrais y aller, mais...
Inutile, Kira avait compris. Elle repoussa ses couvertures, se leva, enfila un jeans et un T-shirt, mit un épais pull noir à capuche, prit son sac à dos encore vide, un peu d'argent et ses faux papiers.
Kira et Christa étaient les seules de la famille à en avoir. Normal, elles étaient nées à Never'City, une ville où l'autorité quasi-inexistante laissait une grande marge de manoeuvre aux clandestins.
Mais ici, c'était différent. Il fallait compter avec la police et la Milice. Kira embrassa sa mère et quitta la chambre d'hôpital.
Elle parcouru rapidement le dédale de couloirs, quitta l'hôpital, et se dirigea vers la ville basse. Mathéo y volait parfois. Si elle ne trouvait aucune piste, elle devrait se résoudre à attaquer la ville haute. Et là, sa seule garantie serait ses papiers au nom de Kate Ydriss.